L’expérience
« Expérience » peut s’entendre dans plusieurs sens :
- l’expérience que l’on fait : expérience comme acquisition de connaissances concrètes par la pratique (une expérience professionnelle, sexuelle, mystique, etc.)
Ex. : Ce voyage a été une expérience enrichissante (ou une expérience traumatisante).
. - l’expérience que l’on a : ensemble des connaissances concrètes acquises dans la vie, par la pratique et non par le discours, et prêtes à être utilisées (homme d’expérience). Conséquence des expériences que l’on a fait.
Ex. :«?L’expérience est la mémoire de beaucoup de choses.?» (DIDEROT)
« L’expérience est une chandelle qui n’éclaire que celui qui la porte.?» (CONFUCIUS)
. - l’expérience sensible (empirique, a posteriori) : relation que l’être humain a à la réalité grâce à ses sens (vue, ouïe, toucher, goût, odorat).
. - l’expérience (ou expérimentation) scientifique : ensemble de procédures par lequel on teste une hypothèse ou une théorie.
1. L’expérience que l’on fait : l’expérience comme acquisition concrète de connaissances
Contrairement aux animaux dont l’instinct confère une perfection immédiate aux activités nécessaires à leur conservation, les êtres humains doivent acquérir la plus grande partie des comportements qui leur permettent de survivre soit par un savoir théorique (passant uniquement par le langage et qu’on applique ensuite), soit par un savoir pratique (acquis concrètement par l’expérience).
1.1 L’expérience est une pratique : une expérience se vit
Opposition expérience/théorie : L’expérience permet d’accéder à un savoir spécifique en lien avec l’action, un «?savoir agir?». En quoi elle se distingue de la théorie (-par le discours, les livres) qui est du point de vue de la pratique un «?savoir sur l’action?».
L’expérience répétée d’une activité permet de la maîtriser : c’est la forme pratique de l’apprentissage, la forme active de l’éducation. C’est par l’expérience qu’un enfant apprend à maîtriser son corps, que le musicien maîtrise progressivement son instrument.
Ex. : Pour apprendre à marcher, à nager, à faire du vélo, à lire, à jouer d’un instrument de musique, il doit essayer, subir des échecs et recommencer jusqu’à ce qu’il maîtrise suffisamment son corps .
En tant que liée à un vécu, à une pratique, l’expérience s’oppose aux connaissances purement théoriques. Elle implique de vivre un événement, et d’en tirer une connaissance, de le considérer du point de vue de son aspect formateur (Ex. : avoir une expérience amoureuse).
Chaque expérience singulière que l’on fait s’ajoute à «?l’expérience que l’on a?». L’expérience que l’on a est donc la somme de toutes nos expériences singulières.
Chaque fait de notre vie est une expérience dans la mesure où l’on en tire un enseignement, un savoir, quelque chose sur quoi on pourra appuyer des choix ultérieurs.
1.2 Les formes de l’expérience
A. Une expérience peut être :
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- positive, enrichissante, liée à un plaisir : on aura alors tendance à chercher à la reproduire ;
- négative, liée à un déplaisir, voire à un traumatisme : on aura alors tendance à l’éviter, à fuir la situation qui l’a provoquée.
Ex. : «?Elle a été échaudée par sa dernière expérience.?»
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B.?Une expérience peut aussi être :
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- volontaire, liée à une curiosité (on peut alors parler d’expérimentation) : elle correspond à une volonté délibérée d’«?acquérir de l’expérience?» ; elle permet de mieux se maîtriser, c’est-à-dire de maîtriser ses émotions, ses sentiments, ses comportements, ses réactions, mais aussi de maîtriser son corps (sport). Ex. : faire l’expérience d’un vol en parapente.
Elle permet de mieux maîtriser son environnement.Ex. : avoir l’expérience d’un certain type de matériel, de certaines techniques - involontaire, accidentelle, subie : Elle peut alors être liée à un plaisir. Ex. : la rencontre d’une personne cultivée peut être une expérience humainement enrichissante. Mais elle peut être aussi tout à fait négative un accident de voiture, une maladie grave ; voire traumatisante.Ex. : une agression est une expérience qu’on ne souhaite à personne.
- volontaire, liée à une curiosité (on peut alors parler d’expérimentation) : elle correspond à une volonté délibérée d’«?acquérir de l’expérience?» ; elle permet de mieux se maîtriser, c’est-à-dire de maîtriser ses émotions, ses sentiments, ses comportements, ses réactions, mais aussi de maîtriser son corps (sport). Ex. : faire l’expérience d’un vol en parapente.
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2. L’expérience que l’on a :l’expérience comme ensemble des savoirs pratiques acquis
2.1 Qu’est-ce qu’un « homme d’expérience » ?
Chaque expérience que nous faisons s’ajoute à l’expérience que nous avons, c’est-à-dire à la totalité de notre savoir pratique : l’expérience est acquisition et conservation de savoir.
Si le temps use et limite progressivement les capacités humaines, il est aussi ce qui permet d’accumuler de l’expérience
L’expérience est alors le contenu pratique de la mémoire, la sédimentation en soi d’un passé qui permet un perfectionnement de l’être humain :
- maîtriser ses actions (faire mieux et plus vite) ; selon Aristote : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron ».
- maîtriser ses réactions (on sait reconnaître les signes de l’angoisse ou de la colère).
Cette expérience accumulée ne se réduit pas à la maîtrise technique d’une série de savoir-faire : l’«?homme d’expérience?» a accumulé un savoir concret de la vie qui lui donne une forme de sagesse.
Aristote nomme «?prudence?» cette forme de sagesse pratique acquise par l’expérience.
L’homme prudent ne décide pas selon des règles morales préétablies mais en pesant une situation particulière par comparaison avec des éléments de son expérience.
3. L’expérience sensible dans la théorie de la connaissance (empirisme)
3.1 L’empirisme est une doctrine philosophique qui considère que toutes connaissances humaines ne proviennent que de l’expérience sensible, de l’observation.
« Rien n’est dans l’esprit qui n’ait été d’abord dans les sens » (ARISTOTE)
C’est en partant du concret, l’expérience, que l’on peut obtenir de l’abstrait, la théorie. Il ne peut y avoir de connaissance «?a priori?», c’est-à-dire acquise par l’usage de la seule raison.
Philosophes empiristes : Francis Bacon (1561-1626), John Locke (1632-1704), David Hume (1711-1776), tous trois britanniques.
3.2 L’induction : c’est le type de raisonnement qui permet de passer, par généralisation, de cas particuliers observés à des lois générales.
Ex. : Le soleil s’est levé à l’est tous les jours aussi loin que nous soyons informés, donc [induction] le soleil se lèvera à l’est demain.
L’empirisme s’oppose au rationalisme qui, s’il admet que toute connaissance commence par les données des sens, prétend que la raison détermine néanmoins quelque chose dans la sensibilité elle-même : « Rien n’est dans l’esprit qui n’ait été au préalable dans les sens, sauf l’esprit » (LEIBNIZ)
Pour le rationaliste, l’expérience étant toujours singulière, elle ne se partage pas. La perception ne peut être que celle d’une chose singulière, alors que la connaissance doit être universelle. La raison ajoute donc nécessairement quelque chose à l’expérience : ce qui permet de faire passer les cas particuliers observés à l’universalité d’une loi.
Comment passer du triangle singulier, dessiné, aux propriétés universelles valant pour tous les triangles ? C’est là qu’intervient pour Kant le travail de la raison.
Au XVIe siècle, pour Francis Bacon : l’empirique (celui qui observe passivement) est comparable à la fourmi qui amasse au hasard des provisions dont, très souvent, elle ne fait rien ; le rationaliste dogmatique (celui qui croit pouvoir tout tirer de sa raison) est comparable à l’araignée qui fabrique des toiles dont la matière est extraite d’elle-même.
La bonne attitude consiste à imiter l’abeille qui, par un art qui lui est propre, transforme en miel le suc des fleurs des champs et des jardins qu’elle recueille.
4. L’expérience scientifique = expérimentation pour valider une théorie
4.1 L’expérience sensible est trompeuse
Nous voyons tous les matins le Soleil se lever à l’est et se coucher à l’ouest après avoir décrit un arc de cercle au-dessus de nous. Nous pouvons en conclure que le soleil tourne autour de la Terre.
Douter de la perception «?passive?» des phénomènes, telle qu’elle nous est donnée, est un premier pas nécessaire pour un scientifique. Sans ce premier pas, la atomes ou les cellules, que nous ne pouvons percevoir directement, n’auraient jamais pu être conçus et découverts.
Les scientifiques peuvent alors poser des hypothèses concernant la réalité à l’origine des phénomènes observés : mais ils devront aussi inventer des expériences permettant de prouver que ces hypothèses sont justes (donc que leurs théories sont vraies, c’est-à-dire correspondent bien à la réalité)
4.2 La réalité de la nature ne se dévoile pas spontanément
L’expérience scientifique est une manière d’«?interroger la nature?» et de la contraindre à répondre, à révéler ce qui n’apparaît pas directement à la perception.
Ex. 1 : la nature atomique de la matière. L’hypothèse est posée dès l’Antiquité grecque par Leucippe et Démocrite. Ce n’est qu’en 1909 que l’expérience de Rutherford prouve la discontinuité de la matière, montrant que les atomes sont constitués d’un petit noyau central entouré de vide où gravitent ses électrons (comme un mini système solaire).
Ex. 2 : En 1839, pour expliquer des anomalies des mouvements de la planète Uranus, l’astronome Le Verrier déduit par calculs l’existence d’une planète (Neptune) alors inobservable. C’est une hypothèse explicative déduite de la théorie de Newton. Neptune sera effectivement observée en 1846 : l’hypothèse est vérifiée.
Il faut un raisonnement expérimental pour déterminer quelle expérience mener afin de vérifier l’hypothèse que l’on fait.
En général, la recherche scientifique procède en 3 étapes (méthode hypothético-déductive) :
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- Partir d’un phénomène inexpliqué : le point de départ est l’observation.
- Pour expliquer ce phénomène, on élabore une hypothèse explicative dans le cadre d’une théorie (= représentation conceptuelle d’un domaine d’objets) : quelle cause pourrait produire ce phénomène??
- Pour vérifier cette hypothèse : on construit une expérience (ou expérimentation scientifique). On imagine un dispositif expérimental qui permettra de vérifier (ou au contraire de «?falsifier?») l’hypothèse que tel phénomène est la cause du phénomène étudié (en son absence, ce phénomène ne se produit plus).
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