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Textes : les critiques de l’inconscient
ALAIN : critique de la notion d’inconscient d’un point de vue moral
« Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animai redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu’il y a d’indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d’instinct offrait une riche interprétation. L’homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensées en nous sinon par l’unique sujet, Je ; cette remarque est d’ordre moral. […] L’inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps ; de le traiter comme un semblable —, comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s’arranger.
L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient ; là se
trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L’hérédité est un fantôme du même genre. « Voilà mon père qui se réveille ; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui
possédé. » […] En somme, il n’y a pas d’inconvénient à employer couramment le terme d’inconscient ; c’est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l’erreur ; et, bien pis, c’est une faute.?»ALAIN, Eléments de philosophie, Livre Il, ch. XVI (1941)
WITTGENSTEIN : critique de la notion d’inconscient d’un point de vue épistémologique
« Supposez encore que vous veuillez parler de causalité en ce qui concerne le jeu des sentiments. “Le déterminisme s’applique à l’esprit avec autant de vérité qu’aux choses de la physique“. Ceci est obscur parce que, lorsque nous pensons à des lois causales pour les choses de la physique, nous pensons à des expérimentations. Nous n’avons rien de la sorte qui soit lié aux sentiments ou à la motivation. Et cependant les psychologues tiennent à dire : “Il doit y avoir une loi“ — bien qu’on en ait trouvé aucune. (Freud) : “Votre intention est-elle de dire, Messieurs, que c’est le hasard qui gouverne les changements dans les phénomènes mentaux??“) Quant à moi, ce qui me paraît important, c’est qu’il n’y a effectivement aucune loi de ce genre […] Voyez l’idée de Freud selon laquelle l’anxiété est toujours, d’une façon ou d’une autre, une répétition de l’anxiété que nous avons éprouvée à la naissance. Il ne l’établit pas en se référant à une preuve -— comment le pourrait-il?? Mais voilà une idée qui a un caractère attrayant prononcé. Elle est attrayante comme le sont les explications mythologiques, ces explications qui disent que tout est répétition de quelque chose qui est arrive antérieurement.
[ … ] Il en va de même de la notion de l’inconscient. Freud prétend en trouver la preuve dans les souvenirs que l’analyse amène au jour. Mais, a un certain stade, on ne voir pas clairement dans quelle mesure de tels souvenirs ne doivent pas leur existence à l’analyste. [ … ] Supposez que vous considériez le rêve comme un type de langage. Une façon de dire ou de symboliser quelque chose. Ce symbolisme pourrait être régulier, sinon nécessairement alphabétique ; il pourrait être comme le chinois. Alors nous pourrions trouver un moyen de transposer ce symbolisme dans le langage que nous parIons ou que nous pensons communément. Mais la transposition devrait pouvoir se faire dans les deux sens. Il devrait être possible, en employant la même technique, de transposer des pensées ordinaires dans le langage du rêve. Freud le reconnaît, cela ne s’est jamais fait et ne se peut faire. De telle sorte que nous pourrions douter si le rêve est une façon de penser quelque chose, s’il est même un langage.?»Ludwig WITTGENSTEIN, « Conversations sur Freud », in Leçons et conversations (1966 posth.)