COURS TEXTES CITATIONS LITTÉRATURE CINÉMA ART ACTUALITÉS AUDIO
La Liberté dans la littérature
« A peine sorti de l’enfance, à cet âge où les jeunes gens, devenus maîtres d’eux-mêmes, font déjà voir s’ils suivront, pendant leur vie, le chemin de la vertu ou celui du vice, Hercule s’assit dans un lieu solitaire, ne sachant laquelle choisir des deux routes qui s’offraient à lui. Soudain il voit s’avancer deux femmes d’une taille majestueuse. L’une, joignant la noblesse à la beauté, n’avait d’ornements que ceux de la nature; dans ses yeux régnait la pudeur; dans tout son air la modestie; elle était vêtue de blanc. L’autre avait cet embonpoint qui accompagne la mollesse, et, sur son visage apprêté, la céruse et le fard altéraient les couleurs naturelles; la démarche altière et superbe, les regards effrontés; parée de manière à laisser entrevoir tous ses charmes, elle se considérait sans cesse elle-même, et ses yeux cherchaient des admirateurs; que dis-je? elle se plaisait à regarder son ombre. Lorsqu’elles furent toutes deux plus près d’Hercule, la première vint à lui sans hâter le pas; mais l’autre, voulant la prévenir accourut vers lui.
« Hercule, lui dit-elle, je vois que tu ne sais quel chemin tu dois prendre. Si tu me fais ton amie, je te conduirai par la route la plus douce et la plus facile; aucun plaisir ne te sera refusé; aucune peine n’affligera ta vie. D’abord tu n’auras à redouter ni la guerre, ni les vains soucis: ta seule occupation sera de trouver les boissons et les mets qui pourront te plaire, ce qui flattera le mieux, à ton avis, les yeux et les oreilles, l’odorat et le toucher; les amours avec toute leur ivresse; le sommeil avec toute sa douceur; et tu ne songeras qu’au moyen le plus court d’être heureux. Et, si tu crains de manquer jamais des trésors qui achètent les Plaisirs, rassure-toi, je t’en comblerai, sans prescrire jamais à ton corps ni à ton esprit des travaux pénibles: tu jouiras des travaux des autres; tout, pour t’enrichir, te sera légitime je donne à ceux qui me suivent le droit de tout sacrifier au bonheur. — Et vous que je viens d’entendre, répondit Hercule, quel est votre nom? — Mes amis, dit-elle, me nomment la Félicité; mes ennemis, mes calomniateurs, m’ont appelée la Volupté. »
Cependant l’autre femme s’était avancée. Elle parle en ces mots: « Et moi aussi, Hercule, je parais devant toi, c’est que je n’ignore pas de qui tu tiens le jour, c’est que ton éducation m’a révélé ton caractère. J’espère donc, si tu choisis ma route que tu vas briller entre les grands hommes par tes exploits et tes vertus, et donner ainsi un nouvel éclat à mon nom, un nouveau prix à mes bienfaits. Je ne t’abuserai pas en te promettant les plaisirs; j’ose t’apprendre avec franchise les décrets des dieux sur les hommes. Ce n’est qu’au prix des soins et des travaux qu’ils répandent le bonheur et l’éclat sur votre vie. Si lu désires que les dieux te soient propices, rends hommage aux dieux; si tu prétends être chéri de tes amis, que ton amitié soit généreuse; si tu ambitionnes les honneurs dans un état, sois utile aux citoyens; s’il te paraît beau de voir tous les Grecs applaudir à ta vertu, cherche à servir la Grèce entière; veux-tu que la terre te produise des fruits abondants? tu dois la cultiver; que tes troupeaux t’enrichissent ? Veille sur tes troupeaux; aspires-tu à dominer par la guerre, à rendre tes amis libres et tes ennemis esclaves ? apprends des guerriers habiles l’art des combats et que l’expérience t’enseigne à le pratiquer, veux-tu enfin que ton corps devienne robuste et vigoureux? souviens-toi de t’accoutumer à l’empire de l’âme, et de l’exercer au milieu des fatigues et des sueurs. »
Sa rivale l’interrompit: « Ne vois-tu pas, Hercule, les obstacles et la longueur de cette route qui mène, dit-on, au bonheur? Moi je t’y conduirai par un chemin court et fleuri. »
« Malheureuse, reprends la Vertu, de quel bonheur viens-tu parler? Quels plaisirs connais-tu, toi qui ne veux rien faire pour en mériter, toi qui préviens tous les besoins qu’il est doux de satisfaire et jouis sans avoir désiré; toi qui manges avant la faim, qui bois avant la soif; qui, pour assaisonner les mets délicats, emploies les mains les plus savantes; qui pour boire avec plus de charme, amasses des vins somptueux et court çà et là chercher de la neige en été; qui pour dormir plus doucement, imagines de fins tissus, de riches tapis étendus sous des lits superbes? Tu cherches le sommeil, non par besoin du repos mais par oisiveté. Dans l’amour, tu préviens et tu outrages la nature; et tes amis, instruits par tes leçons, passent la nuit en plaisirs coupables, et la plus utile partie du jour dans une lâche inaction. Quel homme voudrait te croire quand tu lui parles, te secourir quand tu l’implores? Quel homme sensé oserait se mêler à tes vils adorateurs? Jeunes, ils traînent un corps languissant; plus âgés leur raison s’égare; aux brillants plaisirs d’une jeunesse oisive, succèdent les ennuis d’une laborieuse vieillesse; honteux de ce qu’ils ont fait, accablés de ce qu’ils font, ils ont couru, dans leur premier âge, de délices en délices, et réservé tous les maux pour leur déclin. Moi, je suis la compagne des dieux, la compagne des mortels irréprochables; sans moi, rien de sublime parmi les dieux ni sur la terre. Je reçois les plus grands honneurs, et des puissances divines; et de ceux d’entre ceux d’entre les hommes qui ont le droit de m’honorer. L’artisan n’a personne qui le soulage plus que moi dans ses peines; le chef de famille n’a pas d’économe plus fidèle; l’esclave, d’asile plus assuré; les travaux pacifiques, d’encouragement plus efficace; les exploits militaires, de meilleur garant de triomphe; l’amitié, de nœud plus sacré. Ceux qui me chérissent trouvent dans le boire et le manger un plaisir qu’ils n’achètent pas; ils attendent seulement que le besoin leur ait commandé. Le sommeil leur est plus agréable qu’aux riches indolents; mais ils se réveillent sans chagrin, et jamais l’heure du repos n’a pris sur celle du devoir. Jeunes, ils ont le plaisir d’entendre les éloges des vieillards; vieux, ils aiment à recueillir les respects de la jeunesse. C’est avec soin qu’ils se rappellent leurs actions passées; ils font avec joie ce qui leur reste à faire; et c’est moi qui leur concilie la faveur des Dieux, l’affection de leurs amis, les hommages de leurs concitoyens. Quand le terme fatal arrive, l’oubli du tombeau ne les ensevelit pas tout entiers, mais leur mémoire, toujours florissante, vit dans un long avenir. Imite leur grande âme, ô jeune héros ! sois digne du sang généreux qui t’a fait naître je te promets le bonheur et la gloire. »
— Mon frère est fou, dit Jehan en lui-même ; il eût été bien plus simple d’écrire Fatum. Tout le monde n’est pas obligé de savoir le grec.
L’archidiacre vint se rasseoir dans son fauteuil, et posa sa tête sur ses deux mains, comme fait un malade dont le front est lourd et brûlant.
L’écolier observait son frère avec surprise. Il ne savait pas, lui qui mettait son cœur en plein air, lui qui n’observait de loi au monde que la bonne loi de nature, lui qui laissait s’écouler ses passions par ses penchants, et chez qui le lac des grandes émotions était toujours à sec, tant il y pratiquait largement chaque matin de nouvelles rigoles, il ne savait pas avec quelle furie cette mer des passions humaines fermente et bouillonne lorsqu’on lui refuse toute issue, comme elle s’amasse, comme elle s’enfle, comme elle déborde, comme elle creuse le cœur, comme elle éclate en sanglots intérieurs et en sourdes convulsions, jusqu’à ce qu’elle ait déchiré ses digues et crevé son lit. L’enveloppe austère et glaciale de Claude Frollo, cette froide surface de vertu escarpée et inaccessible, avait toujours trompé Jehan. Le joyeux écolier n’avait jamais songé à ce qu’il y a de lave bouillante, furieuse et profonde sous le front de neige de l’Etna.»
À ces trois fatalités qui enveloppent l’homme se mêle la fatalité intérieure, l’anankè suprême, le cœur humain.»
JUPITER. Égisthe, ma créature et mon frère mortel, au nom de cet ordre que nous servons tous deux, je te le commande : empare-toi d’Oreste et de sa sœur.
ÉGISTHE. Sont-ils si dangereux ?
JUPITER. Oreste sait qu’il est libre.
ÉGISTHE, vivement. Il sait qu’il est libre. Alors ce n’est pas assez que de le jeter dans les fers. Un homme libre dans une ville, c’est comme une brebis galeuse dans un troupeau. Il va contaminer tout mon royaume et ruiner mon œuvre. Dieu tout-puissant, qu’attends-tu pour le foudroyer ?
JUPITER, lentement. Pour le foudroyer ? (Un temps. Las et voûté.) Egisthe, les Dieux ont un autre secret …
ÉGISTHE. Que vas-tu me dire ?
JUPITER. Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les Dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là. Car c’est une affaire d’hommes, et c’est aux autres hommes – à eux seuls – qu’il appartient de le laisser courir ou de l’étrangler.
ÉGISTHE, le regardant. De l’étrangler ? … C’est bien. Je t’obéirai sans doute. Mais n’ajoute rien et ne demeure pas ici plus longtemps, car je ne pourrai le supporter.
Jupiter sort.