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I.3 LE DÉSIR

1. Distinctions conceptuelles  :

a/ Le désir est une motivation irrationnelle, psychologiquement prégnante, à s’approprier un objet ou atteindre un but.

    • Le désir définit donc la dynamique du sujet, une tension vers un objet défini, dont on a une représentation.
    • La motivation d’un être vivant est de manière plus générale le processus qui règle son engagement dans une activité précise. («?Motivation?» vient du latin motus : le mouvement. Une motivation est donc tout ce qui met l’être humain en mouvement dans un but précis.)
    • Toute motivation peut être analysée selon le schéma suivant : déclenchement (dans une certaine), intensité mobilisée, prolongation jusqu’à l’aboutissement ou l’interruption.
    • Le désir est une motivation irrationnelle parce qu’il n’est pas la conséquence d’un raisonnement : il apparaît spontanément à la conscience et est assumé par le sujet comme lui appartenant.

b/ Le besoin est une motivation :

    • d’origine physiologique (besoins primaires : faim, soif, fatigue…)
    • ou d’origine sociale (besoins secondaires : appartenance à des groupes, possession, prestige, estime de soi…), déterminant un sentiment de manque et déterminant des actions pour éliminer ce sentiment désagréable.

Le besoin ne vise pas un objet spécifique mais une action : j’ai besoin de dormir, de manger, de boire…

Les sociologues distinguent

      • les besoins primaires (d’origine physiologique, innés, naturels, donc communs à tous les êtres humains)
      • des besoins secondaires (d’origine sociologique, culturelle, acquis, liés à la culture, spécifiques à un groupe).

c/ La volonté est une motivation rationnelle à s’approprier un objet ou atteindre un but.

    • Elle est rationnelle implique que le sujet ait décidé consciemment de son objet et des actions à entreprendre pour l’atteindre, suite à un raisonnement ou un calcul d’intérêt, indépendamment des besoins.
    • Puisqu’elle est rationnelle (donc liée à une pensée langagière), la volonté est supposée spécifiquement humaine.
    • NB : dans la philosophie classique, les produits de la volonté sont appelés « volitions ».

2. Caractéristiques du désir :

a/ Le désir comme relation entre sujet (désirant) et objet (désiré)

 Sujet désirant  — [désir] –>  Objet désiré

b/ Temporalité du désir : du manque à la satisfaction

    • Le désir naît avec un sentiment (ou une sensation) de manque (déterminé par un besoin) : le manque est ressenti comme une souffrance (plus ou moins importante selon l’investissement du sujet : degré de frustration).
    • Le désir s’objective (grâce à l’imagination et/ou la mémoire) dans un objet permettant de déclencher l’action sous forme de comportements de recherche.
    • Le désir s’éteint avec un sentiment de satisfaction (lorsqu’il est réalisé) : la satisfaction est un plaisir.
      (Sil n’est pas réalisé ou s’il demeure durablement insatisfait, il laisse une sensation de frustration qui se manifeste comme une souffrance.)

c/ La sortie de l’état de désir

Elle peut emprunter différentes voies :

    • soit lappropriation de l’objet qui satisfait ce désir,
    • soit une satisfaction imaginaire, fantasmatique,
    • soit un renoncement à l’objet (désinvestissement),
    • soit la sublimation (réinvestissement de la dynamique dans un domaine en général socialement valorisé : art, science…)
    • soit le repli dans une position d’attente : espoir d’une satisfaction amenée par autrui (passivité, timidité, ne débouche pas sur une action).

d/ Le désir comme source des émotions :

Le désir est la source de toutes les émotions (ou passions, sentiments, affections, affects).

Du point de vue des affects, le désir divise le monde en :

      • objets à rechercher (« bons objets »), sources de plaisir ;
      • objets à fuir (« mauvais objets »), sources de souffrance.

Toutes les émotions découlent de ce partage primitif :

      • nous sommes tristes, dépités, honteux, jaloux, féroces… parce que nous n’obtenons pas une chose que nous désirons ou parce que nous obtenons une chose que nous ne désirons pas ;
      • nous sommes joyeux, gais, heureux… quand nos désirs sont satisfaits ;
      • nous sommes enthousiastes, pressés, impatients quand nous souhaitons satisfaire un désir…

e/ Le désir comme source des comportements et actions

Pour les philosophes matérialistes (comme Epicure, Marx…), ou au moins monistes (l’âme est réductible au corps, comme chez Spinoza), la notion de désir définit toutes les motivations c’est-à-dire tout ce qui met l’individu en mouvement, le pousse à agir.
De ce point de vue, Spinoza considère que le désir est l’essence de l’homme puisqu’elle lui permet de se conserver. Le désir est chez l’être humain l’expression du « conatus », c’est-à-dire de l’effort nécessaire à tout être vivant aussi bien qu’inerte pour se conserver.

3. Le désir (et le plaisir) comme (source de) valeur morale

a/ Morale hédoniste :

Définition : morale mettant la recherche du plaisir (donc de la satisfaction du désir) et l’évitement du déplaisir (donc du manque et de la frustration) au centre de l’existence humaine.

Ce point de vue est cohérent avec les découvertes de la neurobiologie contemporaine : de nombreux médiateurs chimiques associés au plaisir participent à la détermination des comportements humains (noradrénaline, dopamine, sérotonine…)

—> Bien distinguer :

      • les morales hédonistes, centrées sur le plaisir,
      • des morales eudémonistes, centrées sur le bonheur.

b/ Relation raison / désir :

    • La dialectique ascendante des désirs chez Platon : (cf. Texte «Le Banquet?», 210a) en partant de l’expérience du sensible et de ses plaisirs, on peut arriver à l’expérience et aus plaisirs de l’intelligible (passage du sensuel à l’idéal).
    • Epicure et le « calcul des plaisirs » : pour epicure, si le plaisir est bien en soi une valeur morale (« Le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature »), il doit être soumis à la raison qui doit parfois, après comparaison des avantages et des inconvénients engendrés par un plaisir, renoncer à ce plaisir. (Un plaisir à court terme peut être cause de souffrance à long terme : il n’est qu’à penser à l’alcool ou au tabac).
    • Kant (Cf. texte) : chez l’être humain le développement de la raison et de l’imagination lui permet de créer lui-même des désirs indépendamment de l’instinct et même contraires à lui.

4. Classifications des désirs

a/ Selon Épicure (342-270 av. J.-C.) , Lettre à Ménécée (Cf. texte)

« Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. »

ÉPICURE, Lettre à Ménécée

    • Le choix rationnel parmi les désirs conditionne le bonheur : calcul des plaisirs (évitement d’un plaisir s’il doit causer une douleur, acceptation d’une douleur si elle peut être source d’un grand plaisir)
    • Le plaisir est un critère du bien à rechercher, le bien suprême étant la tranquillité de l‘âme ; la douleur est un critère du mal, à fuir. Mais tous les plaisirs et toutes les douleurs ne se valent pas, de sorte que la raison doit intervenir pour « apprécier » leurs poids respectifs et en mesurer les conséquences sur la durée.

b/ Selon Augustin d’Hippône (354-430) : 3 types de désirs (libido = désir)

libido sentiendi : désir de sentir et ressentir déterminant les comportements sensuels et sexuels.

Les sens sont chez l’être humain le premier outil (qui existe chez l’homme indépendamment de sa culture) permettant d’assurer la survie de l’individu (informations sur le milieu à un instant donné) et celle de l’espèce (reproduction).
En relation avec l’épithumaï de la tripartition de l’âme chez Platon (partie désirante de l’âme)

libido sciendi : désir de savoir déterminant les comportements de curiosité, de recherche philosophique ou scientifique.

L’acquisition de connaissances est elle aussi un outil permettant d’assurer la survie de l’individu (connaissance du milieu, au-delà des informations instantanées apportées par les sens).
En relation avec le logistikon de la tripartition de l’âme chez Platon (partie raisonnante de l’âme)

libido dominandi : désir de maîtriser son milieu, ses relations inter-individuelles et au-delà politiques.

Dominer (dominus = maître), c’est assurer sa survie individuelle en réduisant éventuellement son milieu et autrui à un rôle d’outils.
En relation avec le thumos de la tripartition de l’âme chez Platon (partie violente de l’âme)

NB : Dans cette typologie, tous les désirs sont au service de la survie de l’individu et/ou de celle de l’espèce.

Au XVIIIe siècle, Rousseau montre les relations complexes entre ces diverses formes du désir, en insistant par exemple sur la primauté des besoins, la libido sciendi (et donc la raison) n’apparaissant que pour permettre la satisfaction de la libido sentiendi :

« C’est par l’activité des passions que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir. »

ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

c/ Pyramide des besoins de Maslow

    • Puisque la psychologie a une visée scientifique, donc universelle, l’aspect moral n’apparaît pas dans cette classification : il n’y a pas de désirs « vains ».
    • Les désirs traduisent un besoin d’abord physiologique, puis sociologique et enfin psychologique.
    • La satisfaction des besoins d’un étage de la pyramide conditionne la recherche d’une satisfaction des besoins de l’étage supérieur…
    • En haut de la pyramide, le besoin de «réalisation de soi», qui ne se manifeste que lorsque les autres besoins ont été satisfaits, peut être rapproché du désir de bonheur (fondamental chez les Grecs) puisque ce bonheur épicurien est lui aussi conditionné par la satisfaction des désirs nécessaires «pour la vie» et «pour la tranquillité du corps».

5.  Analyse « anthropologique » des désirs

Une approche anthropologique des phénomènes humains tente de cerner selon 3 dimensions (physiologique, sociale et psychologique) censées couvrir la totalité de leurs déterminations possibles :

a. Dimension physiologique (naturelle / universelle / innée) :

—> déterminations partagées par tous les êtres humains (instincts, besoins… )

Un désir peut viser à satisfaire un besoin naturel (physiologique). Attention : seule l’origine du désir est biologique?; la forme qu’il prend pour être satisfait est en général déterminée sociologiquement (culture).

Ex. : hypoglycémie (fait physiologique)

      1. sentiment de faim : expression sensible de ce fait physiologique. Sentiment (psychologique) de manque, de déplaisir.
      2. besoin de nourriture : conception du type d’action qui mettra faim à ce déplaisir. Pour mettre fin à ce déplaisir, il faut manger.
      3. désir de manger un pain au chocolat : tension vers un objet concret, déterminé, lié à des goûts culturels ou personnels, qui donne une forme objective au besoin, permettant de déterminer l’action nécessaire pour faire disparaître le déplaisir lié au besoin (c’est-à-dire pour satisfaire le besoin).

– Chez Spinoza : le désir est l’essence de l’homme (lié à la conservation de l’individu et de l’espèce) (Cf. Texte)

« Nous ne faisons effort vers aucune chose, nous ne la voulons pas ou ne tendons pas vers elle par appétit ou par désir, parce que nous jugeons qu’elle est bonne ; c’est l’inverse : nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. » SPINOZA, Éthique III

Puisqu’il est ce qui permet à l’être humain de persévérer dans son existence, le désir est l’essence même de l’homme.

– Chez Schopenhauer : le désir au service des « intérêts supérieurs » de l’espèce

La Philosophie de l’amour de Schopenhauer (qui en 1820 ignore tout de la génétique) pose l’hypothèse que les affinités amoureuses s’expliqueraient par une stratégie de l’espèce dans laquelle l’individu n’est qu’une marionnette. L’amour est une « illusion voluptueuse » : femme ou homme seraient (inconsciemment) attirés par celui ou celle qui assurera le mieux la survie de sa descendance.

b. Dimension sociologique (culturelle / particulière / acquise) :

—> déterminations partagées par tous les êtres humains d’un groupe donné ; ex. :  tous les comportements d’origine culturelle, langage…

Désir acquis, visant à se procurer un objet suite à une sollicitation extérieure. Ce désir ne peut naître que dans le cadre d’une culture puisqu’il ne répond pas à un besoin naturel spontané. La vie en société crée par conditionnement de nouveaux besoins (secondaires) qui fournissent aux différents groupes composant la société des marqueurs sociaux d’appartenance (conformisme)

Ex. : tout désir « fabriqué » par la publicité, déterminant un comportement d’achat. En général il s’appuie sur un besoin qu’il détourne de sa fonction « naturelle » (utilisation de représentation à forte connotation sexuelle dans la publicité).

a/ Marx : origine sociale des désirs (Cf. Texte)

Illustration de cette théorie par l’anecdote des « petites maisons » aux habitants heureux mais qui ne sont plus que des «?huttes?» aux habitants malheureux si un « palais » vient se construire à proximité.

  « Étant d’origine sociale, nos besoins sont relatifs par nature. » MARX, Travail salarié et Capital (1849)

b/ Le désir mimétique (structure ternaire du désir)

Classiquement, la structure du désir est binaire : le désir est une relation entre un sujet et un objet. Mais la dimension sociale du désir s’explique mieux par l’introduction d’un 3e terme :

        1. Quelqu’un dont le désir est d’abord indéterminé (sans objet, potentiel) : le sujet.
        2. Quelqu’un qui désire et satisfait son désir (et paraît s’en trouver heureux) : le médiateur, modèle auquel le sujet peut s’identifier.
        3. Un objet qui satisfait le désir du médiateur : l’appropriation de cet objet doit donc permettre de s’approprier en même temps la satisfaction que ressent le modèle.
        4. Une dynamique, une tension qui détermine le sujet désirant à s’approprier l’objet désiré par le modèle pour s’approprier en même temps le plaisir, la satisfaction qu’il semble éprouver.

Dans cette structure ternaire intervient la dimension sociale du désir : autrui est nécessaire à la détermination des objets du désir. Le statut de ce 3e terme peut être ambigu : dans le triangle amoureux, le médiateur est à la fois le modèle (positif qui indique un objet au désir) et le rival (négatif qui empêche la satisfaction de ce désir).

Exemples : 

        • Complexe d’Œdipe : identification au désir du parent de même sexe et choix de l’objet de ce désir (le garçon aime sa mère, la fille aime son père). Le parent de sexe opposé devient objet de désir, créant une rivalité avec le parent de même sexe.
        • Publicité : utilisation d’une vedette comme médiateur pour créer le désir d’un produit.
          Ex. : Nespresso (George Clooney), parfums Dior (Charlize Theron)…

c.  Dimension psychologique (liée à l’histoire individuelle) :

—> déterminations propre à un individu singulier

Descartes et la « jeune fille louche » (= qui louche)

« Lorsque j’étais enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s’y faisait aussi pour émouvoir la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. »

– Le désirs comme dynamique psychologique fondamentale : Le pendule de Schopenhauer (la vie de l’homme oscille entre 2 souffrances liées au désir, celle due au manque et celle due à l’ennui)

« Entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est suffrance ; la satisfaction en gendre bien vite la satiété ; le but était illusoire, la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît alors sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon c’est le dégoût, le vide, l‘ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. »

SCHOPENHAUER, Le Monde comme Volonté et comme représentation

Désirs compulsionnels ou morbides (psychopathologies) : collections, addictions, voyeurisme, meurtres en série…

Fabrication individuelle de désirs suite à un traumatisme, fantasmes (rélalisation imaginaire) pouvant déboucher sur un passage à l’acte.