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4.1. La société et les échanges

1. La société conçue comme système d’échanges régulés

1.1 Définition

L’échange est l’opération de cession réciproque à quelqu’un (qui donc cède lui aussi quelque chose en contrepartie de ce qu’il reçoit).

Les êtres humains s’associent et stabilisent cette association pour faciliter la satisfaction de l’ensemble de leurs besoins : pour Aristote (Les Politiques), c’est l’origine des familles, puis des villages où se rassemblent des familles), puis des cités qui permettent de satisfaire au mieux les aspirations humaines (aussi bien matérielles que spirituelles).

1.2 Distinctions

(Distinctions analytiques de la notion d’échanges donc utiles en dissertation)

a/ Distinction de la langue commune :

      • Les échanges (au pluriel) :  en lien avec la vie matérielle, plus particulièrement à l’économie, au commerce, à toutes les transactions matérielles. Les échanges visent donc à la satisfaction des besoins.
      • L’échange (au singulier) : dimension plus personnelle, intime ou spirituelle. Échanger des paroles, des sourires, des idées, partager des sentiments, des émotions…

b/ Distinction anthropologique (typologie des échanges) :

Échanges matrimoniaux / Échanges matériels / Échanges symboliques

        • Échanges matrimoniaux : échanges de liens matrimoniaux entre familles, tribus, villages, royaumes…
        • Échanges matériels (ou « réels ») : échanges de biens ou de services.
        • Échanges symboliques : échanges de messages (qui impliquent des formes de langage).

L’anthropologue Claude Lévi-Strauss (1955) explique le passage de la nature à la culture par le passage de l’échange réel (biens matériels pour satisfaction des besoins physiologiques et de sécurité) à l’échange symbolique (satisfaction des besoins d’appartenance et d’estime de soi).

Quand nous parlons ou saluons quelqu’un nous n’échangeons pas des objets matériels utiles ou des services. Tout acte de communication (dialogue, salut, sourire…) est un échange : on parle alors d’échange symbolique puisque n’y sont échangés que des signes.

Attention :

        • Un objet ou un service (partie matérielle de l’échange) peut être échangé contre un remerciement ou un sourire (partie symbolique).
        • Un  échange peut porter sur des objets à la fois matériels et symboliques : ex. Échange de cadeaux à Noël.

2. Échanges et société

2.1 L’échange est un rapport à autrui impliquant interaction et une forme de réciprocité

L’échange impose une relation plus ou moins réciproque :  un don appelle un contre-don. Celui qui reçoit devient débiteur (même implicitement) du donateur. Pour qu’une relation demeure équilibrée (non conflictuelle), la dette peut être annulée par un contre-don.
Ex. : Échange de cadeaux à Noël —> maintien ou renforcement d’une  relation affective (échange à la fois  matériel et symbolique).

La question classique du don : l’absence de réciprocité implique-t-elle que le don soit un acte désintéressé ?
Ex. : Celui ou celle qui intervient dans une association caritative ne cherche-t-il pas à satisfaire un besoin d’accomplissement de soi, de reconnaissance ou d’appartenance ?
La valeur du don (désintéressé) serait liée à la satisfaction d’un besoin plus complexe que les besoins vitaux : besoins sociaux et psychologiques (appartenance, estime de soi, accomplissement)

2.2 Une société peut être définie comme un système d’échanges régulés (à plusieurs niveaux).

La société, la communication s’opère au moins à trois niveaux, déterminant des échanges à la fois matériels et symboliques :

      1. Échange matrimoniaux : liens de parenté contraints par la prohibition de l’inceste.
      2. Échange (matériel) des biens et des services : solidarité économique contrainte par la division du travail)
      3. Échange (purement symbolique) de messages (informations) :   partage de la même conception du monde).

L’existence durable de ces échanges structure durablement une collectivité humaine qui devient alors une société.

3. Production de biens et organisation de la société

3.1 La division du travail : une contrainte naturelle ?

Dans les sociétés primitives, le travail est autarcique : l’autarcie est une forme d’économie minimale  dans laquelle la collectivité produit l’ensemble des biens et services nécessaires à satisfaire les besoins de chacun. L’ensemble des biens (ex. : chasse, cueillette) est partagé. C’est une économie de survie, sans besoin d’échange avec les autres collectivités. Cette autonomie implique une relative polyvalence des individus.

La sortie de l’autarcie a pour conséquence nécessaire  la complexification de la société :

      • division du travail (spécialisation )
      • économie d’échange (marché)
      • interdépendance = stabilisation des relations sociales

« Dans la première communauté, c’est-à-dire la famille, le troc n’a aucune fonction mais qu’il en acquiert une quand la communauté s’agrandit. Car les membres de la famille mettaient toutes les choses en commun, alors que ceux qui s’étaient séparés avaient certes beaucoup de choses de la même manière, mais aussi d’autres qui, nécessairement, selon les besoins firent l’objet d’échanges, comme cela se pratique aussi dans beaucoup de peuplades barbares, selon la formule du troc. Car alors on échange des choses utiles les unes contre les autres et rien de plus, par exemple on donne et on reçoit du vin contre du blé. »

ARISTOTE, Les Politiques


Dès qu’une communauté humaine n’est plus autarcique, les contraintes sociales de l’échange (commerce) s’ajoutent aux contraintes techniques du travail (production) : l’interdépendance des métiers crée mécaniquement du lien social.

3.2 La division du travail 

a/ Une contrainte naturelle ?

Division du travail selon les sexes. Dans la plupart des sociétés primitives, les femmes cueillent, les hommes chassent : première répartition des tâches. Les contraintes de gestation et d’allaitement auraient déterminé cette 1ère division « naturelle » du travail.

b / Une contrainte sociale ?

Division du travail selon les tâches.

        • travail manuel : production des biens —> efficacité (cf. texte de Platon)
        • travail intellectuel : conception, organisation, gestion (religion, politique, science, économie…)  expertise.

Selon Platon (La République), la spécialisation permet une meilleure maîtrise par chacun de son domaine d’activité et donc une meilleure productivité, dans l’intérêt de la collectivité.

c/ La division du travail : cause des inégalités sociales ?

Problème :  la division des tâches entraîne en général une répartition inégale des pouvoirs et une hiérarchisation de la société. Or cette hiérarchisation de la société entraîne mécaniquement des injustices qui peuvent menacer la stabilité de la société (guerres civiles, révolutions).

Ceux qui disposent de l’expertise (capital symbolique) ont le pouvoir de décider de la répartition des revenus du travail (en général à leur avantage) : ils peuvent accumuler un capital économique (productif et financier) qu’ils transmettent à leurs héritiers provoquant l’apparition d’une hiérarchie sociale stable : les classes sociales.

En l’absence de mobilité sociale (l’« ascenseur social ») qui autorise ou mieux encore favorise par l’éducation le passage d’une classe à l’autre, la hiérarchie sociale et ses injustice se fixe (esclavage, 3 états de l’ancien régime en France, castes en Inde, etc.)

4.  Échanges et civilisation

4.1 Le commerce : un échange « civilisateur » ?

Le « doux commerce » de Montesquieu :

« Partout où il y a des mœurs douces,  il y a du commerce ; et partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. »
« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. »

MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois, 1748

« On peut dire que les lois du commerce perfectionnent, les mœurs par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures. […]Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particu­liers. Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines. […] L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage,  et de l’autre à ces vertus morales qui font  qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité,  et qu’on peut les négliger pour ceux des autres. »

MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois, 1748

Positif (thèse) :  Esprit de commerce = esprit de justice (échanges équitables)

Négatif (antithèse) : Esprit de commerce = perte des valeurs désintéressées   

4.2  Problème : le marché produit des richesses (profit), mais :

    • il tend à marchandiser toute chose, éventuellement les êtres humains (prostitution, esclavage…) ;
    • il tend à concentrer les richesses dans les mains de quelques-uns (la richesse permet d’acquérir des richesses).

D’où la nécessité d’une intervention politique, celle de l’Etat :

    • instances de régulation du marché
    • redistribution des richesses (par l’impôt).