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LE LANGAGE DANS LA LITTÉRATURE

« La langue est une chose sublime. C’est par la parole que Dieu créa. Le verbe c’est le verbe. L’écriture alphabétique, c’est la pensée même de l’homme figurée par des lignes. Aussi rien n’égale la parole et l’écriture, ces deux manifestations de l’esprit. L’encre vaut le ciel. Une goutte suffit pour tout consteller. Avec l’encre et la parole on est absolu. Qui dit absolu dit vrai. De là l’utilité du songeur. Parler, écrire, c’est faire. Les paroles font des existences. Un mot de plus est un progrès. Le prêtre bénit, le philosophe affirme, le poète crée. Bénir affirmer créer, c’est faire. La parole de l’homme est toute-puissante. »

Victor HUGO, Les Contemplations

« Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois,
S’ils n’avaient rien à dire, élèveraient la voix ?
Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ?
Crois-tu que l’océan, qui se gonfle et qui lutte,
Serait content d’ouvrir sa gueule jour et nuit
Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit,
Et qu’il voudrait rugir, sous l’ouragan qui vole,
Si son rugissement n’était une parole ?
Crois-tu que le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu,
Ne soit rien qu’un silence ? et te figures-tu
Que la création profonde, qui compose
Sa rumeur des frissons du lys et de la rose,
De la foudre, des flots, des souffles du ciel bleu,
Ne sait ce qu’elle dit quand elle parle à Dieu ?
Crois-tu qu’elle ne soit qu’une langue épaissie ?
Crois-tu que la nature énorme balbutie,
Et que Dieu se serait, dans son immensité,
Donné pour tout plaisir, pendant l’éternité,
D’entendre bégayer une sourde-muette ?
Non, l’abîme est un prêtre et l’ombre est un poëte ;
Non, tout est une voix et tout est un parfum ;
Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un ;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le verbe.
Tout, comme toi, gémit ou chante comme moi ;
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit !
Tout est plein d’âmes.
Victor HUGO, Les Contemplations – « Ce que dit la bouche d’ombre »

« Les mots nous présentent des choses une petite image claire et usuelle comme celles que l’on suspend aux murs des écoles pour donner aux enfants l’exemple de ce qu’est un établi, un oiseau, une fourmilière, choses conçues comme pareilles à toutes celles de même sorte. Mais les noms présentent des personnes – et des villes qu’ils nous habituent à croire individuelles, uniques comme des personnes – une image confuse qui tire d’eux, de leur sonorité éclatante ou sombre, la couleur dont elle est peinte uniformément. »

Marcel PROUST, Du Côté de Chez Swann

« Les noms des pays, des départements ou des villes, plus que ceux des personnes, me retracent tout un état ancien de moi-même. Quand je prononce des noms comme Orléans, Blois, Tours, Bourges, Issoudun, vingt autres encore, que je n’ai pas vus depuis si longtemps, c’est toute une vie ancienne que j’évoque où étaient réunies des sensations d’atmosphère et d’existence entièrement distinctes de celles que j’ai menées dans ces dernières années où je n’ai plus retourné dans ces pays et où le déplacement est devenu si facile. »

Marcel PROUST, À l’ombre des jeunes filles en fleur

« Le Chapelier ouvrit de grands yeux en entendant cela ; mais il se contenta de demander : « Pourquoi est-ce qu’un corbeau ressemble à un bureau ? »
« Parfait, nous allons nous amuser ! pensa Alice. Je suis contente qu’ils aient commencé à poser des devinettes…
– Je crois que je peux deviner cela », ajouta-t-elle à haute voix.
– Veux-tu dire que tu penses pouvoir trouver la réponse ? demanda le Lièvre de Mars.
– Exactement.
– En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.
– Mais c’est ce que je fais, répondit Alice vivement. Du moins… du moins… je pense ce que je dis… et c’est la même chose, n’est-ce pas ?
– Mais pas du tout ! s’exclama le Chapelier. C’est comme si tu disais que : « Je vois ce que je mange », c’est la même chose que : « Je mange ce que je vois ! »
– C’est comme si tu disais, reprit le Lièvre de Mars, que : « J’aime ce que j’ai », c’est la même chose que : « J’ai ce que j’aime ! »
– C’est comme si tu disais, ajouta le Loir (qui, semblait-il, parlait tout en dormant), que : « Je respire lait-il, parlait tout en dormant), que : « Je respire quand je dors », c’est la même chose que : « Je dors quand
je respire ! »

Lewis CARROLL, Alice au Pays des Merveilles