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I.4. AUTRUI
1. Caractérisation et définition
A. Rappels :
Notre conscience est toujours conscience de quelque chose (= intentionnalité) ; elle peut se définir comme un rapport entre un sujet (= moi) et un objet (= ce sur quoi je focalise mon attention, avec quoi j’entre en relation)
On peut classer les différents types d’objets de notre expérience en fonction des types particuliers de relations qu’on peut établir avec eux (relation « sujet/objet ») :
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- choses = objets quelconques, inertes. Ces objets n’ont pas d’autonomie, de pensée, de volonté, etc. Le rapport aux choses détermine notre conscience pratique (relation d’utilité, de propriété, etc.)
- soi = objet singulier sans équivalent possible dans l’expérience immédiate, qui se vit comme source de de perceptions, d’actions, de désirs, de pensées… Le rapport à soi-même détermine notre conscience réflexive (qui se prend elle-même comme objet)
- autrui = objets particuliers que nous supposons être d’autres « moi », capables de partager les mêmes expériences que nous (pensée, sentiments, émotions, volonté, désirs, etc.). Le rapport à autrui détermine notre conscience morale (rapports du sujet avec d’autres sujets : reconnaissance, respect, dignité, domination, soumission, etc.)
Autrui peut être défini (depuis Aristote) comme un autre moi (= alter ego), de sorte que onnaître autrui permettrait donc de se connaître soi (selon Platon dans l’Alcibiade majeur, et Aristote dans Ethique à Nicomaque).
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B. Définition :
Autrui est toute personne autre que moi-même, considérée sur le plan moral, dans ses interactions réelles ou potentielles avec moi. Il est reconnu par moi comme un autre « moi ».
2. Fondement de la relation morale à autrui
Selon le sentiment (Rousseau), selon la raison (Kant), selon la relation de reconnaissance (concrète et conflictuelle) (Hegel)
A. ROUSSEAU : caractérisation morale d’autrui par le sentiment.
Entre soi et autrui, la pitié (empathie) est un sentiment naturel nécessaire à la conservation de l’espèce :
« Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs, et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix […] C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate, et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent. »
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
B. KANT : caractérisation morale d’autrui par la raison.
Les relations entre les êtres raisonnables que sont soi et autrui doivent être conformes aux lois de la raison (et non plus seulement à celles de la nature) qui se traduisent par des devoirs, à ce que Kant appelle l’«?impératif catégorique?» (qui revient à l’idée de traiter autrui comme soi-même).
« L’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin. […] Les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui, par suite, limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). »
KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785)
C. HEGEL : relation concrète de reconnaissance de la dignité d’autrui.
Hegel distingue trois formes de reconnaissance par autrui nécessaires à la constitution du sujet et de l’identité personnelle. Elles résultent donc d’interactions réciproques avec autrui caractérisé comme « personne » (cf. Locke et Kant) mais portée par une dynamique de conflit :
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- Reconnaissance amoureuse par le soin, le secours, l’amitié, l’amour (—> bien-être affectif, relation à autrui).
- Reconnaissance juridique par l’attribution et le respect de droits (—> sécurité matérielle, relation à l’Etat).
- Reconnaissance sociale selon la place occupée dans la société (—> estime de soi, relation à la société).
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3. Ambiguïté du rapport à autrui
Autrui est pour nous à la fois problème et solution de problèmes. Nous avons besoin d’autrui mais il faut trouver un équilibre entre les désirs qui nous portent vers autrui et l’aversion qu’autrui peut susciter en nous.
« Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. »
SCHOPENHAUER Parerga et Paralipomena (1851)
3.1. Positivité d’autrui :
Nous pouvons être « liés » à autrui par des sentiments associés à un plaisir (confiance, gratitude, reconnaissance, empathie, amour…) qui sont nécessaires à la constitution de soi comme sujet et vécus positivement.
a. Autrui, pôle d’équilibre du sujet (égoïsme/altruisime) : le mythe de Narcisse
Narcisse, trop égocentrique pour répondre à l’amour de la nymphe Echo, s’éprend de sa propre image aperçue dans une fontaine et, incapable de se détacher d’elle, piégé par son incapacité à se détourner de lui-même pour s’intéresser à autrui, finit par en mourir. L’attention à autrui est une condition d’un rapport positif du sujet au monde.
« Inconsciemment, il se désire, il est à la fois le sujet et l’objet de son amour, le chasseur et la proie, celui qui met le feu et qui brûle. »
OVIDE, Les Métamorphoses (Début du 1er siècle)
b. Autrui nous permet de nous connaître nous-même :
Chez Aristote : amitié (philia) = équité (pas de relation de domination) + réciprocité (échanges)
La philia peut donc être une relation avec un(e) camarade de classe, collègue de bureau, partenaire amoureux(se), associé(e), parent, voisin(e), concitoyen(ne), etc.
« À la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c’est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi même. »
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre VIII (349 av. JC)
c. Autrui nous permet de nous situer dans la réalité (et sa reconnaissance est un principe moral) :
« Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et qu’on est, en effet, l’une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l’une des parties de cette terre, l’une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s’exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays […]. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu »; au lieu qu’en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde. »
DESCARTES, Lettre à Elisabeth (1645)
d. Autrui comme condition de la certitude d’une réalité extérieure (d’où le danger de l’individualisme moderne) :
« Pour nous l’apparence — ce qui est vu et entendu par autrui comme par nous-mêmes — constitue la réalité. […] C’est la présence des autres voyant ce que nous voyons, entendant ce que nous entendons, qui nous assure de la réalité du monde et de nous-mêmes : et si l’intimité d’une vie privée pleinement développée, inconnue avant les temps modernes, donc avant le déclin du domaine public, doit toujours intensifier, enrichir la gamme des émotions subjectives et des sentiments privés, cette intensification se fera toujours aux dépens de la certitude de la réalité du monde et des hommes. »
Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne (1958)
e. Autrui est ce qui nous construit comme sujet moral
• PLATON : mythe de l’anneau de Gygès (le regard des autres comme contrainte morale)
« … Gygès prit cet anneau et se retira. C’était la coutume des bergers de s’assembler tous les mois, pour envoyer rendre compte au roi de l’état des troupeaux ; le jour de l’assemblée étant venu, Gygès s’y rendit et s’assit parmi les bergers avec son anneau. Or il arriva qu’ayant tourné par hasard le chaton en dedans, il devint aussitôt invisible à ses voisins, et l’on parla de lui comme d’un absent. Étonné, il touche encore légèrement l’anneau, ramène le chaton en dehors et redevient visible. Ce prodige éveille son attention; il veut savoir s’il doit l’attribuer à une vertu de l’anneau , et des expériences réitérées lui prouvent qu’il devient invisible lorsqu’il tourne la bague en dedans, et visible lorsqu’il la tourne en dehors. Alors plus de doute : il parvient à se faire nommer parmi les bergers envoyés vers le roi; il arrive, séduit la reine, s’entend avec elle pour tuer le roi et s’empare du trône.
Supposez maintenant deux anneaux semblables, et donnez l’un au juste et l’autre au méchant. Selon toute apparence, vous ne trouverez aucun homme d’une trempe d’âme assez forte pour rester inébranlable dans sa fidélité à la justice et pour respecter le bien d’autrui, maintenant qu’il a le pouvoir d’enlever impunément tout ce qu’il voudra de la place publique, d’entrer dans les maisons pour y assouvir sa passion sur qui bon lui semble, de tuer les uns, de briser les fers des autres, et de faire tout à son gré comme un dieu parmi les hommes. En cela rien ne le distinguerait du méchant, et ils tendraient tous deux au même but. Ce serait là une grande preuve que personne n’est juste par choix, mais par nécessité, et que ce n’est point un bien de l’être puisqu’on devient injuste dès qu’on peut l’être impunément. »PLATON, République, Livre II
• SARTRE : autrui comme « médiateur entre moi et moi-même » (la honte)
« Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi je ne le juge ni le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive ; dans le champ de la réflexion je ne peux jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui. Et par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas?; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. […] Autrui est d’abord pour moi l’être pour qui je suis objet, c’est à dire l’être par qui je gagne mon objectité. »
SARTRE, L’être et le néant (1943)
• MERLEAU-PONTY : autrui comme condition de l’espace intersubjectif créé par le dialogue (je et tu)
« Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est le créateur… Nous sommes l’un pour l’autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l’une dans l’autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d’autrui sont bien des pensées siennes, ce n’est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l’objection que me fait l’interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. »
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception (1945)
3.2. Négativité d’autrui :
Notre relation à autrui peut être obscurcie par des sentiments douloureux (jalousie, envie, mépris, hostilité, rivalité, stigmatisation, ostracisme, haine…) qui sont vécus négativement. Autrui est alors un “mauvais objet”, objet d’attitudes hostiles (racisme, sexisme…)
a. Rapports de force avec autrui : dominant / dominé
« Dans toutes les classes sociales tant soit peu dépendantes, l’homme du commun n’a jamais eu d’autre valeur que celle qu’on lui attribuait ; nullement habitué à fixer lui-même des valeurs, il ne s’en est pas attribué d’autre que celle que ses maîtres lui reconnaissaient ; créer des valeurs, c’est le véritable droit du seigneur. Peut-être faut-il considérer comme le résultat d’un prodigieux atavisme le fait que l’homme vulgaire, de nos jours encore, commence par attendre l’opinion qu’on a de lui pour s’y conformer ensuite instinctivement, que cette opinion soit « bonne » ou même mauvaise et injuste. »
Freidrich NIETZSCHE, Par delà le bien et le mal (1886)
b. Autrui comme objet privilégié des pulsions agressives —> exploitation, vol, viol…
« L’ homme n’est pas un être doux, en besoin d’amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression. En conséquence de quoi, le prochain n’est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d’exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ce qu’il possède, de l’humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer.
L’existence de ce penchant à l’agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l’autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société de la culture est constamment menacée de désagrégation […]. Il faut que la culture mette tout en oeuvre pour assigner des limites aux pulsions d’agression des hommes […]. De là la restriction de la vie sexuelle et de là aussi ce commandement de l’idéal : aimer le prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle. »Sigmund FREUD, Le Malaise dans la culture (1929)
c. Autrui comme barbare (nous contre eux) —> racisme, sexisme, nationalisme, agéisme, ethnocentrisme, etc.
« On sait, en effet, que la notion d’humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée. […] Mais, pour de vastes fractions de l’espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion apparaît totalement absente. L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie les “hommes” (ou parfois dirons-nous avec plus de discrétion “les bons”, “les excellents”, “les complets”), impliquant ainsi que les autres tribus groupes ou villages ne participent pas des vertus — ou même de la nature humaine —, mais sont tout au plus composés de “mauvais”, de “méchants”, de “singes de terre” ou “d’œufs de pou”. »
Claude LÉVY-STRAUSS, Race et histoire (1961)
d. Autrui comme objet à détruire —> le meurtre (je contre lui/elle)
« Tuer n’est pas dominer mais anéantir, renoncer absolument à la compréhension. Le meurtre exerce un pouvoir sur ce qui échappe au pouvoir. Encore pouvoir, car le visage s’exprime dans le sensible, mais déjà impuissance car le visage déchire le sensible. L’altérité qui s’exprime dans le visage fournit l’unique « matière » possible à la négation totale. Je ne peux vouloir tuer qu’un étant absolument indépendant, celui qui dépasse infiniment mes pouvoirs et qui par là ne s’y oppose pas, mais paralyse le pouvoir même de pouvoir. Autrui est le seul être que je peux vouloir tuer. »
Emmanuel LÉVINAS, Totalité et Infini (1961)